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La grande opération de charme de la Chine envers l’Afrique continue
2018-09-05 20:40:08



来源 : Le Monde



Pékin maintient son aide financière et accroît sa participation militaire pour bâtir une coopération « Sud-Sud » aux accents anti-Occidentaux. La Chine accueillait lundi et mardi 53 chefs d’Etat et de gouvernement au septième forum triennal Chine-Afrique.
 
Le contraste se voulait saisissant, et il le fut. Accusés par le président américain, Donald Trump, d’être à la tête de « pays de merde », les dirigeants africains viennent d’être reçus comme des princes à Pékin.
 
Pour accueillir les cinquante-trois chefs d’Etat et de gouvernement au septième forum triennal Chine-Afrique, lundi 3 et mardi 4 septembre, les Chinois ont mis les petits plats dans les grands. Les photos officielles montrent des dirigeants africains et leurs épouses, tout sourire, applaudir et remercier les dizaines de danseuses, qui, en costume traditionnel, leur font une véritable haie d’honneur. Sans doute se rendaient-ils au banquet organisé dans le Grand Palais du peuple, un dîner de gala auquel participaient le président Xi Jinping, mais aussi son épouse, et qu’agrémentait un spectacle donné par des artistes chinois et africains.
 
Les Africains avaient une autre raison d’être aux anges. Quelques heures auparavant, Xi Jinping avait tenu un discours aussi agréable à leurs oreilles que désagréable à celles des Occidentaux :
 
« Nous poursuivons toujours la pratique des “cinq non” dans nos relations avec l’Afrique, à savoir : ne pas s’ingérer dans la recherche par les pays africains d’une voie de développement adaptée à leurs conditions nationales, ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures africaines, ne pas imposer notre volonté à l’Afrique, ne pas assortir nos aides à l’Afrique de condition politique quelconque, et ne pas poursuivre des intérêts politiques égoïstes dans notre coopération en matière d’investissement et de financement avec l’Afrique. Nous espérons que les autres pays pourront aussi se conformer à ce principe des “cinq non” dans le traitement des affaires liées à l’Afrique. »
Non seulement la Chine n’entend plus recevoir de leçon des Occidentaux, mais elle ne s’abstient pas de leur en donner.
 
Annulations de dettes
 
Autre explication aux sourires affichés : la Chine se montre toujours aussi généreuse. Comme en 2015, son aide se monte à 60 milliards de dollars (52 milliards d’euros) pour les trois années à venir.
 
Xi Jinping a été assez précis : « 15 milliards de dollars, au total, d’aides sans contrepartie, de prêts sans intérêt et de crédits préférentiels, une ligne de crédit de 20 milliards de dollars, le soutien à la création d’un fonds spécial de 10 milliards de dollars pour le financement du développement et d’un fonds spécial de 5 milliards de dollars pour le financement des importations en provenance de l’Afrique, et l’encouragement des entreprises chinoises à investir au moins 10 milliards de dollars sur le continent dans les trois ans à venir. »
 
Pékin annule même, pour les pays les plus pauvres, « leurs dettes non remboursées liées aux prêts intergouvernementaux sans intérêt arrivant à échéance fin 2018 ». Une mesure que Xi Jinping n’a pas détaillée, mais qui lui permet de répondre à ceux qui accusent la Chine de piéger les pays africains en les surendettant.
 
Une critique réfutée par Pékin mais aussi par certains experts. Selon le Cari, l’institut de recherche Chine-Afrique de l’université américaine John Hopkins, il n’y a que trois pays africains dont la dette pose problème et dont la Chine est le principal créancier : la République du Congo, la Zambie et Djibouti.
 
Renforcement de la coopération militaire
 
C’est dans ce dernier pays que la Chine a installé son unique base militaire à l’étranger. La seule à ce jour, mais pour combien de temps encore ? Le 3 septembre, le New York Times annonçait que les Etats-Unis envisagent de retirer leurs troupes du Niger, de Tunisie, du Cameroun, de Libye et du Kenya, pour ne rester durablement qu’au Nigeria et en Somalie.
 
Symboliquement, le même jour, Pékin renforçait sa coopération militaire avec l’Afrique. Elle en fait même une de ses huit priorités.
 
« La Chine (…) continuera à fournir des aides militaires sans contrepartie à l’Union africaine, et soutiendra les efforts déployés par les pays du Sahel, du Golfe d’Aden, du Golfe de Guinée et d’autres régions dans la préservation de la sécurité régionale et dans la lutte contre le terrorisme. Elle créera un forum Chine-Afrique sur la paix et la sécurité (…) et elle travaillera à mettre en œuvre cinquante projets d’aide en matière de sécurité dans le cadre de l’initiative “La ceinture et la route” [le nom officiel du projet chinois des nouvelles routes de la soie] et dans les domaines du maintien de l’ordre public, des opérations de maintien de la paix des Nations unies [ONU] et de la lutte contre la piraterie et le terrorisme », a déclaré Xi Jinping.
 
Que la Chine profite des opérations de l’ONU pour perfectionner ses techniques militaires, qu’elle participe à la formation d’officiers africains ou qu’elle vende des armes sur le continent, n’est pas nouveau. Mais pour Jean-Pierre Cabestan, spécialiste des relations Chine-Afrique à l’université baptiste de Hongkong, « Xi Jinping est beaucoup plus précis et ambitieux qu’il y a trois ans. La référence au Sahel indique peut-être que la Chine va s’impliquer dans le G5 Sahel, comme le souhaite la France. Et l’évocation du golfe de Guinée amène à s’interroger sur la vocation réelle du grand port construit par les Chinois à Sao Tomé-et-Principe. Les Occidentaux ne vont plus pouvoir reprocher aux Chinois de se contenter de vendre leurs produits aux Africains et de laisser l’Occident assurer la sécurité du continent. »
 
« Communauté de destins »
 
Surtout que la Chine se fait le chantre du multilatéralisme. Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, était d’ailleurs présent à Pékin.
 
L’opération de séduction de M. Xi semble avoir réussi. Accusé fin août par Mahathir Mohamad, le premier ministre malaisien, de « néocolonialisme », le président a retenu la leçon et insisté sur « les bénéfices concrets et tangibles » que la « communauté de destins Chine-Afrique » devait apporter aux Africains. Ses invités, notamment Paul Kagamé, président du Rwanda et de l’Union africaine, et le sud-africain Cyril Ramaphosa, l’ont soutenu sans réserve.
 
Si le discours anti-occidental chinois a touché une corde sensible chez nombre de dirigeants africains, la « communauté de destins » n’est pas toujours aussi flamboyante qu’un ballet chinois : les échanges commerciaux que les dirigeants avaient prévus, en 2015, de porter de 220 milliards de dollars à 400 milliards de dollars en cinq ans, ne se montaient plus qu’à 170 milliards de dollars en 2017. Le commerce, pas plus que la diplomatie, n’est un dîner de gala.