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Les Chinois rechignent à faire plus d’enfants
2018-09-20 20:08:39


来源 : Le Monde



Avec des salaires trois fois supérieurs au revenu moyen urbain en Chine, Tian Lin et Hua Ming forment un foyer aisé. Tous deux travaillent dur. Dans la journée, les parents de Tian Lin gardent leur petite fille, Hua Yutong, née il y a dix mois. Pourtant, ils ne s’estiment pas assez riches et se considèrent trop occupés pour avoir un deuxième enfant. « C’est trop d’énergie », dit Tian Lin. « Quand je gagnerai un billiard de yuans, peut-être », renchérit son mari, sarcastique. Pour ce jeune couple de Shanghaïens, comme pour la plupart des Chinois, un enfant suffit, alors que leur pays songe à abandonner le contrôle des naissances.
 
La politique de l’enfant unique a déjà été élargie à deux enfants par couple début 2016. Et les indices suggérant que cette dernière limite pourrait être supprimée se multiplient. La Commission nationale pour la santé a annoncé, lundi 10 septembre, que les trois bureaux responsables de l’application du planning familial disparaîtront. A la place, un nouveau bureau pour « l’étude de la population, la prévision démographique et le développement de la famille » sera responsable, entre autres, « d’améliorer les politiques de natalité ».
 
Déjà, fin août, une publication juridique officielle annonçait que le code civil chinois ne ferait plus référence à la limitation des naissances après sa révision, programmée en 2020. Un changement radical de modèle, après quarante ans d’une politique de contrôle des naissances particulièrement stricte, même si environ 60 % des couples, seulement, étaient astreints à un seul enfant.
 
Le pays le plus peuplé du monde (1,379 milliards d’habitants) est aujourd’hui confronté aux conséquences démographiques de son malthusianisme forcené : sa population vieillit à une vitesse record. Les plus de 60 ans représentent 17,3 % de la population chinoise, contre 25 % en France. Mais, en 2050, la Chine sera plus âgée que la France, avec 35 % de la population âgée de plus de 60 ans, contre 31,9 % en France, selon l’Insee.
 
Ce basculement démographique risque de peser sur la croissance de la Chine. La population active a atteint son pic en 2010. La population totale devrait, quant à elle, baisser après 2029. Or, la légitimité des dirigeants repose en grande partie sur une croissance continue de l’économie et l’enrichissement des ménages qu’elle permet. Après un rebond en 2016, avec 17,9 millions de naissances, soit 8 % de plus, pour l’année du passage à deux enfants pour tous les couples, les naissances ont reculé en 2017 à 17,2 millions. Un peu plus qu’avant la réforme, mais loin des 20 millions de naissances espérées fin 2015 à l’annonce de sa mise en œuvre.
 
Egalité compliquée
 
La Chine devra faire plus pour convaincre les jeunes couples d’avoir davantage d’enfants, tant les réticences sont nombreuses. Les grandes villes, les plus attractives en termes d’emploi, sont aussi les moins accueillantes pour les jeunes enfants. Zhang Jinshan et Liu Junjuan, vendeurs de fruits sur le marché de Pingyang, au sud-ouest de Shanghaï, s’inquiètent pour l’avenir de leur fils, Chengyang, 4 ans. Ils sont originaires de la province rurale du Henan, dans le centre du pays.
 
Pour l’instant, leur fils a été accepté au jardin d’enfants public (l’école maternelle). Il devrait ensuite pouvoir accéder à l’école primaire. Mais ils craignent un changement des règles d’ici-là. Les mégalopoles de Shanghaï (24 millions d’habitants) et Pékin (22 millions) cherchent à endiguer la croissance de leur population exogène et rejettent les migrants venus de provinces plus pauvres.
 
« Même si cela fait longtemps que nous vivons à Shanghaï et que nous y payons nos impôts, nous n’avons pas l’assurance que Chengyang puisse aller à l’école ici. Depuis deux ans, les politiques à destination des migrants sont de plus en plus restrictives », déplore le père, 28 ans, dont quatorze passés à Shanghaï.
 
Et si leur fils ne peut pas accéder à l’école publique, ils seront dans l’incapacité de financer sa scolarité dans le privé : « Nous payons actuellement 10 000 yuans [1 250 euros] par an dans le public. Dans le privé, pour une école correcte, il faut compter 5 000 yuans par mois », précise-t-il. Or, le couple dit ne gagner que 70 000 yuans net par an.
 
L’équation est également compliquée pour les ménages plus aisés. Quatre décennies de politique de l’enfant unique ont habitué les familles à tout miser sur un seul enfant. De quoi placer la barre très haut. « Un bon jardin d’enfants, avec des enseignants anglophones et des cours de danse, ça coûte 200 000 yuans [25 000 euros] par an », estime Tian Lin. Soit 40 % de leurs revenus qui passeraient dans l’éducation de leur fille. « Mon mari travaille très dur pour gagner plus. Mais il s’abîme la santé », dit-elle inquiète.
 
Cette vision est souvent résumée en une formule : « Tout pour l’enfant. » Pour le primaire, ils examinent plusieurs options, dont celle d’inscrire leur fille dans une école internationale de Shanghaï. Or, il faut pour cela acquérir un permis de résidence à l’étranger. « Dans certains pays d’Afrique, ce n’est pas si cher », explique Tian Lin.
 
Dans leur résidence proprette au nord de la ville, la mère de Tian Lin, Song Yunxia, prépare un biberon pour sa petite-fille, avec du lait en poudre importé de France. Elle est sceptique : « Toi, tu es allée à l’école publique, dans notre petite ville du Liaoning [au nord-est] et tu t’en es très bien sortie », argue-t-elle à l’intention de sa fille. « La Chine n’est plus la même, répond cette dernière. Aujourd’hui, si tu ne vas pas dans un bon jardin d’enfants, tu n’as pas accès à une bonne école primaire, et ainsi de suite. Il faut prendre le bon train dès l’enfance. »
 
Freins à la fertilité
 
Si la Chine s’est enrichie de manière spectaculaire, l’égalité des chances, elle, a largement reculé. Et c’est la foire d’empoigne : tandis que les Shanghaïens cherchent à investir dans l’immobilier à proximité des meilleures écoles publiques, où les prix atteignent des sommets, les Chinois venus d’autres régions doivent opter pour de coûteuses écoles privées.
 
Les freins à la fertilité ne sont pas qu’économiques. D’après une étude du site de recrutement Zhaopin, la discrimination à l’embauche des femmes est un frein important à la conception. 33 % des femmes ont subi une baisse de salaire après avoir donné naissance à un enfant, et 36 % ont perdu leur poste. Tian Lin apprécie son employeur, mais elle est revenue travailler un mois avant la fin de son congé maternité « pour obtenir un projet intéressant ». « Les femmes sont plus éduquées et plus ambitieuses professionnellement. Mais cela entre en conflit avec la discrimination au travail », explique la chercheuse Leta Hong Fincher, auteur d’un ouvrage à paraître sur le féminisme en Chine (Betraying Big Brother. The Feminist Awakening in China, Verso).
 
Les autorités chinoises semblent peu préoccupées par l’idée de favoriser la parité entre hommes et femmes. Elles semblent même aller dans la direction opposée. « Le gouvernement chinois semble croire que le moyen de soutenir la démographie, c’est de pousser les femmes à se marier et à avoir des enfants plus jeunes », ajoute Mme Hong Fincher, citant des campagnes incitant les étudiantes à le faire alors qu’elles sont encore à l’université.
 
« Il y a beaucoup de propagande en ce sens, mais elle ne vise qu’une certaine catégorie de femmes, observe-t-elle, d’ethnie Han [majoritaire en Chine], urbaines, éduquées et considérées comme la population désirable. » Celles aussi qui rechignent à sacrifier leur temps et leur pouvoir d’achat pour un projet jugé prohibitif et peu soutenu.